Dans l´article précédent, nous avons analysé la première des deux méthodes traditionnelles de transformation du minerai de fer en métal, celle des forges de montagne ou haizeolas. Dans ce nouveau chapitre, nous étudierons l’autre méthode traditionnelle : les forges hydrauliques, un procédé beaucoup plus évolué que le précédent, plus moderne dans le temps et mieux connu, mais que l’on ne peut pas encore considérer comme pleinement industriel.
Par sidérurgie traditionnelle, nous entendons la sidérurgie antérieure à l’introduction du haut fourneau au XIXe siècle, date à laquelle nous pouvons parler de sidérurgie industrielle. La sidérurgie traditionnelle repose sur la réduction du minerai de fer de haute qualité (méthode directe), tandis que la sidérurgie industrielle moderne repose sur la fusion du minerai, généralement de moindre qualité, pour obtenir un matériau intermédiaire, la fonte brute (méthode indirecte).
Les premières forges hydrauliques
Bien que dans d’autres régions, comme la Catalogne, les références soient beaucoup plus anciennes, au Pays Basque, les plus anciennes références aux forges actionnées par l’eau des rivières datent de la fin du XIIIe siècle. Pendant un certain temps, les anciennes haizeolas et les nouvelles forges coexistèrent dans le même espace, bien qu’avec le temps, ces dernières finirent par l’emporter, jusqu’à ce qu’elles soient remplacées, à leur tour, par les hauts fourneaux modernes à caractère industriel, dans la première moitié du XIXe siècle.
Fonctionnement
Dans les haizeolas comme dans les forges hydrauliques, le métal obtenu provenait de la réaction chimique qui se produisait à l’intérieur du four « bas », ou four de réduction, dans lequel on avait préalablement introduit du charbon de bois et du minerai de fer de haute qualité, des matières premières très abondantes sur notre territoire. Le fer purifié était extrait de ce four, laissant les scories comme matériau résiduel. L’éponge de fer obtenue (agoa) devait cependant encore être soumise à une nouvelle phase de purification : le forgeage.
Le métal obtenu n’était pas toujours le même. Traditionnellement, on distingue le fer doux, à faible teneur en carbone et plus malléable, de l’acier, à plus forte teneur en carbone et plus dur.
La grande innovation des forges hydrauliques par rapport aux forges de montagne est qu’elles utilisaient la force motrice du courant des rivières pour déplacer les deux éléments essentiels du travail : le marteau ou le maillet qui frappe le fer déjà travaillé et le soufflet qui insuffle l’air dans le four. Dans les haizeolas, tout l’effort était manuel.
Le travail d’ingénierie complexe nécessaire pour exploiter l’énergie hydraulique a donné naissance à des installations très caractéristiques, les forges, dont les vestiges parsèment encore notre géographie.
Les éléments d’une forge
Dans sa conception de base, une forge doit comporter au moins les éléments suivants :
– Le barrage ou le déversoir : c’est le premier élément de l’ensemble. Il servait à retenir l’eau pour assurer un débit contrôlé vers les installations de la forge. Ils étaient à l’origine construits en bois et plus tard en pierre. Les barrages-voûtes sont caractéristiques de notre territoire depuis la fin du XVIIe siècle.
– Le canal : L’eau était déviée vers la forge le long d’un canal ou d’un canal d’irrigation qui prenait de la hauteur.
– L’antépara et le tunnel hydraulique : Ce canal se déversait dans l’antépara, ou réservoir surélevé sous lequel se trouvait le tunnel hydraulique, construit parallèlement à l’atelier de forge. Dans ce tunnel se trouvaient les roues qui transmettaient l’énergie, au moyen d’essieux, à l’intérieur du bâtiment de la forge.
– L’atelier : c’est l’endroit où s’effectuait le travail. Les essieux fixés aux roues traversaient le mur de l’atelier et entraînaient en permanence les deux éléments fondamentaux de l’atelier de la forge : le maillet ou marteau qui frappait le fer extrait du four par les forgeurs, et le soufflet qui injectait l’air nécessaire pour que la température à l’intérieur du four atteigne la température désirée.
– Les entrepôts : espaces où étaient stockées les grandes quantités de minerai de fer et de charbon de bois nécessaires au processus de combustion.
Forges majeures et mineures
Une dernière distinction importante est celle entre les forges majeures et les forges mineures. Dans les premières, on réalise la première étape de la transformation du minerai, c’est-à-dire les étapes décrites jusqu’à présent. Les petites forges réduisaient et amincissaient les billettes produites dans les grandes usines, les rougissaient pour les rendre plus malléables et les transformer en barres ou en produits semi-finis en fer. Ces installations, également appelées tiraderas ou martinetes, étaient de taille plus réduite.
Le déclin d’une activité séculaire
Depuis leur apparition au Pays Basque vers la fin du Moyen Âge et tout au long de l’époque moderne, les forges hydrauliques ont dominé la production de fer et d’acier dans notre pays. Elles se comptaient par centaines, surtout dans les territoires de Bizkaia et de Gipuzkoa. Leurs vestiges, sous forme de barrages, de canaux ou de ruines d’ateliers et d’entrepôts, sont encore disséminés dans toute la région. Certains ont survécu jusqu’à aujourd’hui en relativement bon état ou ont été récupérés au point de pouvoir être visités, et même d’être vus en fonctionnement. Les forges d’El Pobal, à Muskiz (Bizkaia) ou de Mirandaola, à Legazpi (Gipuzkoa) sont de bons exemples de cette mise en valeur de notre passé culturel.
Avec l’apparition des premiers hauts fourneaux dans la première moitié du XIXe siècle, les modestes forges ont entamé un déclin irréversible, incapables de rivaliser avec la nouvelle technologie sidérurgique à grande échelle issue de la révolution industrielle.